Législation anti-blanchiment d’argent : obligation de signalement et votre propre sécurité

Mr. Jan Tuerlinckx - Syneton Talks podcast
Comment assurer votre propre sécurité et celle de vos employés si vous devez signaler un blanchiment d'argent ? Dans cet épisode de Syneton Talks, Maître Jan Tuerlinckx aborde l'obligation de signalement et votre sécurité.

L'article paru dans De Tijd indiquant que les comptables craignent pour leur sécurité car le signalement d’irrégularités dans le registre UBO ne peut se faire anonymement nous a incités à demander à Me Tuerlinckx où en sont maintenant la législation et la sécurité en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. Si vous ne pouvez pas effectuer de signalement anonymement, devez-vous signaler ? Votre client découvrira-t-il que vous avez effectué un signalement ? Y a-t-il un délai de prescription en matière de blanchiment d’argent ?

Voici l'interview, sous-titrée en FR :

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Vous trouverez cette vidéo sur Youtube (sous-titrée en NL et FR) et le podcast sur Spotify (NL).

6 points à retenir de cet entretien :

  • Ceux qui n'osent pas risquent de payer la facture (7:42)
  • Offrez à votre client une valeur ajoutée en corrigeant les erreurs (12:48)
  • Travaillez à une culture de communication libre et transparente (13:31)
  • La numérisation et la transparence libèreront les comptables du poids qui pèse sur eux (17:12)
  • Envisagez-le sous l’angle de la qualité (20:04)
  • En matière d’argent noir, il n’y a pas de délai de prescription (24:18)

Vous préférez le lire ?

La nouvelle législation contre le blanchiment d'argent oblige les comptables à signaler les irrégularités dans le registre UBO. Les comptables craignent pour leur sécurité car cela ne peut se faire anonymement. Dans ce podcast, Valerie Thys s’entretient avec Jan Tuerlinckx, l'un des meilleurs avocats fiscalistes de notre pays. Il est chroniqueur pour Trends et Moneytalks et auteur de ‘Wat wit was’, un livre sur la fraude fiscale. Vous trouverez ci-dessous un résumé plutôt aride du podcast, car Me Tuerlinckx l’explique de manière beaucoup plus animée dans le vidéo !

De quelles irrégularités dans le registre UBO parle-t-on exactement ?

C'est une longue histoire. À un moment donné, le gouvernement a décidé qu'il serait intéressant de savoir à qui appartient une société. C'était une zone d’ombre. On sait depuis longtemps à qui appartiennent les voitures par l'immatriculation, on le sait pour les biens immobiliers, par le cadastre, on le sait pour les comptes, mais pas pour les sociétés. C'est la raison pour laquelle la législation UBO a été rédigée. La Belgique le savait depuis 2015, l’année de la rédaction de la directive. Mais nous avons attendu et elle a été introduite en 2018. En 2019, il y a eu de nombreux problèmes informatiques, mais les données ont enfin pu être encodées. Il fallait que tout soit en ordre avant la fin 2019.


Mais ensuite, ils ont dit que nous devions compléter les informations du registre UBO et que la qualité de ce qui avait été introduit devait être améliorée. Ceci de deux manières : d'une part, en ajoutant des documents justificatifs, mais le gouvernement a oublié de dire à quoi ces documents devraient ressembler et dans quelle langue ils devaient être rédigés. D’autre part, si une information s'avère erronée, il faut le signaler. Et c'est contre cela que les comptables ont réagi. Parce que les signalements des avocats, par exemple, sont protégés, de sorte qu'on ne sait pas qui remonte l’information. Cette protection ne s'appliquait pas aux comptables, ce qui pouvait entraîner des problèmes de sécurité.


Cependant, c'est un peu exagéré. La vraie question est la suivante : jusqu'où le comptable doit-il aller dans son obligation de signalement ? Si vous traitez avec un trafiquant de drogue, par exemple, qui ne déclare pas correctement sa société, il y a vraiment un problème. Ces signalements peuvent entraîner des problèmes de sécurité.


Mais supposons que vous ayez acheté les parts de votre père il y a un mois et que le registre UBO n'ait pas encore été mis à jour. Techniquement, le registre UBO n'est pas en ordre et il faut le signaler. Vous ressentez immédiatement qu'il s'agit d'une violation de l'intimité entre le comptable et son client. Les deux parties savent que tout va bien et pourtant, il faut signaler.


Vous ne pouvez pas travailler pour des criminels, et vous devez le signaler. Mais le législateur ne définit pas de ligne de démarcation claire dans la législation. Il dit simplement : si c'est faux, vous devez le signaler. C'est particulièrement dommage. C'est le prix du laisser-aller administratif du gouvernement.

Laisser-aller administratif ?

La raison en est le mode de gestion archaïque des sociétés : l'action au porteur. Il s'agissait d'un titre de propriété très spécial : le papier sur lequel il avait été imprimé constituait votre titre de propriété. Les actions au porteur pouvaient disparaître dans la nature. En 2008, nous avons cessé de le faire. Les actions ne sont plus imprimées, mais enregistrées dans un livre. Le fisc peut le consulter, mais le livre n'est pas publié. Il aurait été préférable qu'elles soient enregistrées chez un notaire, par exemple.


De nombreuses personnes demandent un registre numérique et public, avec plus de sécurité juridique quant à l'identité des actionnaires. Si tel avait été le cas, nous n'aurions pas ces problèmes aujourd'hui.

Et si les comptables n'osent pas signaler ?

C'est très fâcheux, car ceux qui n'osent pas paient la facture. Dans les chaînes de valeur et de services, de nombreuses personnes sont soumises à la législation préventive contre le blanchiment d'argent. En tant que comptable, vous ne voulez tout de même pas vous retrouver dans une affaire où il apparaît que l'agent immobilier, le notaire et le banquier ont effectué leur signalement, mais pas vous ? Il y aura toujours quelqu'un qui a déjà effectué un signalement.

Peut-on savoir si quelqu'un d'autre a déjà effectué un signalement ?

Non, ce n’est pas possible, vous ne le savez que si vous avez vous-même tiré. C’est un peu comme un peloton d'exécution. Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi il y a plusieurs personnes qui tirent dans un peloton d'exécution ? Pour que personne ne sache qui a tiré la balle fatale. Afin de ne pas mettre de pression psychologique sur les tireurs. Mais les comptables ont été soumis à cette pression : ils devaient signaler et tout le monde pouvait savoir qui avait effectué le signalement. Maintenant, cela a été rectifié : le comptable qui effectue le signalement reste anonyme.

Faut-il le faire savoir à son client ?

La question est de savoir si vous pouvez encore fournir des services à ce client lorsque vous découvrez ce genre de chose. Pour le trafiquant de drogue, vous ne pouvez pas continuer à travailler. Mais les petites découvertes que vous faites, vous les signalez et vous corrigez le registre UBO. Tout comptable a l'obligation morale de vérifier si le registre des actions et le registre UBO correspondent. Offrez à votre client une valeur ajoutée en l'adaptant, afin que son permis de conduire financier soit toujours en règle.

Qu'en est-il des employés qui n'osent pas signaler ?

Au sein de l'entreprise, il est extrêmement important de travailler à une culture selon laquelle tout peut être communiqué librement et de manière transparente. C’est vrai pour tout fournisseur de services intellectuels.


Ce n'est pas l'employé qui doit effectuer le signalement, mais la direction. Il s'agit d'une protection pour les plus vulnérables, les personnes qui occupent des fonctions exécutives. C'est à la direction de voir si elle doit signaler, et c’est elle qui le fera.

En ce qui concerne l’avenir, qu’apportera la législation anti-blanchiment d’argent ?

Il y aura beaucoup plus d'harmonisation et d'échanges internationaux de données. Le problème que nous avons aujourd'hui encore est le déficit historique. Nous aurions dû gérer ces actions plus correctement, et penser à la transparence à un stade plus précoce. Aujourd’hui, nous en payons le prix. Ce qui est dommage, c’est que ce n'est pas le gouvernement qui en paie le prix, mais les professionnels. Nous devrons vivre avec pendant un certain temps. Les obligations vont encore continuer à croître pendant un certain temps, mais à long terme, nous allons arriver à une normalisation.


Après la Seconde Guerre mondiale, nous avons connu quelque chose de similaire. À l’époque, le système financier devait être purgé des profits de la guerre. Cet argent noir – un type d'argent noir différent de celui dont nous parlons aujourd'hui – devait être retiré de la circulation. Cela s’est fait avec la loi Gutt, par la levée du secret bancaire, le démembrement des actifs et le renversement de la charge de la preuve. Ce sont les trois éléments qui constituent la base de la législation actuelle sur le blanchiment d'argent.


Je pense qu'avec la numérisation et la transparence qui s’annoncent, certaines des mesures pénibles que nous avons aujourd'hui ne pèseront plus sur le professionnel.

Le comptable peut-il guider ou éduquer l'entrepreneur dans ce domaine ?

Le comptable n'est pas le seul à devoir éduquer ses entrepreneurs, c'est pourquoi j'ai écrit le livre ‘Wat wit was’, dans lequel j’explique la façon dont nous considérons l'argent aujourd'hui. Dans le passé, l'argent n'avait pas de couleur, ni d’odeur. Mais aujourd'hui, lorsque vous vous présentez dans une institution financière avec de l'argent, on vous demande : à qui appartient-il, d'où vient-il et avez-vous payé les taxes appropriées ? 

Quand un comptable doit-il être critique ?

Tout d'abord, lorsqu’il accepte un nouveau client. Deuxièmement, il doit réexaminer périodiquement son client. En fonction des risques, ceux-ci doivent être réévalués tous les ans ou tous les trois ans. Et troisièmement, dès qu’il entend ou lit des choses étranges ou constate des transactions anormales.


On peut l'envisager sous l'angle du contrôle, ce qu’a fait le législateur, mais aussi sous l'angle de la qualité. Un exemple : nous avons procédé à un changement d’image de marque. Mon comptable m'a téléphoné pour me demander ce que j'avais fait, car les factures pour l'enregistrement de la marque ne cessaient d'affluer. Il s'est avéré que c’étaient des escrocs qui envoyaient ces factures. J'aurais pu en vouloir à mon comptable d'intervenir, mais il m'a rendu un grand service en se montrant aussi vigilant.

À quoi ressemblerait le monde idéal en matière de fiscalité et de lutte contre le blanchiment d'argent ?

Nous avons besoin de clarté. La clarté consiste à définir clairement les règles du jeu. C'est là qu'il faut commencer et personne ne peut s'y opposer. Une fois que les règles du jeu ont été convenues très clairement, vous devez vous y conformer. C'est inhérent à la démocratie.


Le problème de la législation sur le blanchiment d'argent, ce n'est pas de dire que nous avons des règles aujourd'hui et que nous les appliquerons à l'avenir. Le problème, c’est que nous les appliquons également lorsque nous regardons le passé. Par exemple, les institutions financières doivent vérifier d'où proviennent les avoirs de leurs clients, rétrospectivement, lorsque ces normes n'existaient pas encore.


Le deuxième problème, c’est que ce qui constitue une fraude n'est pas clairement défini. C'est un point sur lequel le législateur doit travailler.

Y a-t-il un délai de prescription ?

En matière de blanchiment d'argent, il n'y a pas de délai de prescription. La base de la législation sur le blanchiment d'argent est que vous vous êtes enrichi illégalement. Très souvent en ne payant pas les taxes appropriées. Il n'y a pas de délai de prescription et vous ne pouvez pas vous en débarrasser, vous le traînez avec vous à tout moment.

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